Après d’ultimes attaques, enlèvements et assassinats survenus ces dernières semaines au Darfour, les habitants de Nertiti (Centre Darfour), en lien avec les comités de résistance, ont décidé d’entamer un sit-in avec une série de revendications.
Le sit-in a été décidé et a commencé le 28 juin à l’issue d’une grande manifestation pour protester contre les attaques récentes des milices et les persécutions qui continuent contre la population locale. Nertiti est une ville où réside l’ethnie fur (une des ethnies principalement visées par le génocide mené par le régime d'el-Bachir). La ville est entourée de nombreux camps de réfugiés et une grande partie de la population locale est elle-même déplacée. Cette région repose en grande partie sur l'agriculture, cependant la guerre et les attaques qui durent depuis une vingtaine d'années ont forcé les habitants à quitter les fermes et les campagnes pour rejoindre les camps et les villes, et les trajets pour se rendre aux champs et cultiver sont souvent très dangereux. C'est dans ce contexte que les demandes du sit-in de Nertiti sont axées sur le "droit" à cultiver.
Dans la foulée, de nombreuses villes ont démarré leurs propres sit-in devant les bâtiments des autorités locales, et ce mouvement a été appelé "les sit-in de la paix" (3itisam assalam). Il est toujours en cours. De nombreuses manifestations de soutien se sont tenues également dans la banlieue de Khartoum, ainsi que des marches qui rejoignent un sit-in à l'autre. Des groupes de militants et d'anciens occupants de la place d'Al-Qyada (avril et mai 2019) ont également rejoint le Darfour pour se joindre au sit-in.
Une délégation du gouvernement s'est rendue sur place le 6 juillet pour rencontrer les manifestants et ils ont promis la mise en place d'un ensemble des mesures pour répondre à chaque revendication dans un délai de deux mois. Le sit-in s'est dispersé volontairement le 15 juillet après ces annonces et la mise en place de premières mesures concrètes, en prévenant qu'ils reviendraient si les autres n'étaient pas tenues. Le 20 juillet le gouvernement a annoncé la démission des gouverneurs actuels de la région et a nommé des gouverneurs civils. Des grosses zones d'ombre persistent sur le silence du gouvernement quant à la responsabilité et la culpabilité de leurs propres milices (janjawids) dans l'insécurité dénoncée par les habitants, ainsi que la dispersion violente de plusieurs sit-in, notamment à Fata Burno.
Nous préparons actuellement un article plus conséquent sur le mouvement et en particulier le sit-in de Nertiti, son organisation et son impact sur la politique soudanaise. En attendant, on vous laisse avec le bref communiqué rédigé à Lyon, des liens et des documents pour découvrir ce mouvement.
Banderole au sit-in. Réseaux sociaux.
Banderole au sit-in. Réseaux sociaux.
Communiqué de l'initiative des Soudanais de Lyon en soutien au sit-in de Nertiti :
Texte émanant des Soudanais de Lyon et de la banlieue de Lyon, qui saluent le peuple soudanais pour la constance de sa lutte.
Vous n’êtes pas sans savoir ce qu’il s’est passé ces derniers jours à Nertiti (Darfour-Centre), qui ont pris les choses en main pour accomplir les objectifs de la révolution tels qu’ils avaient été présentés : liberté, paix et justice. Le peuple de Nertiti a donc entamé un sit-in devant les bâtiments des autorités locales, en appelant à une liste de revendications, ci-dessous. Nous appelons nos camarades en France à venir en aide au sit-in, en montrant leur soutien sur les réseaux sociaux et en transmettant un soutien financier aux personnes-relais suivantes [liste nominative non-traduite ici].
Revendications (version complète) :
- Démission du chef de la ville, du chef de la police, et des commandants locaux de l’armée, des services de sécurité et des forces paramilitaires Forces de Support Rapide
- Désarmement de toutes personnes n’occupant pas de fonctions reconnues les autorisant à porter des armes
- Protection et sécurité de la zone
- Protection des fermiers et de leurs terres afin de protéger les récoltes à venir
- Restitution du bétail volé par des miliciens durant les deux derniers mois
- Mise en place et sécurisation de routes de pâturage spécifiques afin d’empêcher des conflits entre fermiers et pasteurs
- Arrestation des personnes contre qui des plaintes ont été formées, et réparations immédiates exigées
- Interdiction de toutes les motos et mobylettes sur l’étendue de la ville [souvent utilisées par les assaillants].
Liste des revendications, en version complète. Réseaux sociaux.
Liste des revendications de Nertiti, en version complète. Réseaux sociaux.
Traduction des slogans, liens, images et carte :
Reportages live dans les manifestations lors du sit-in, cinq jours après le début du sit-in :
« Nous ne renterons pas chez nous parce qu’on a des revendications »
« Ce soir nous ne reviendrons pas, tant que nos droits eux ne reviendrons pas »
« Révolutionnaires et libres, on ira jusqu’au bout »
« Hemeti qu'est-ce qu'il a ? Il est sale.. Burhan qu'est-ce qu'il a ? Il est sale.. El-Bachir qu'est-ce qu'il a ? Il est sale... »
« Des militaires [au pouvoir] ? Non non non. Des civils [au pouvoir] ? Oui oui oui »
Carte des sit-ins initiés dans le pays début juillet, éditée par le Mouvement du Rhinocéros Blanc (voir leurs réseaux sociaux).
Carte des sit-ins initiés début juillet dans le pays, éditée par le Mouvement du Rhinocéros Blanc (voir leurs réseaux sociaux).
Lien d'une compilation de discours, chants et slogans sur la scène du sit-in de Nertiti, et manifestations à Niertiti et Zalingei :
https://www.facebook.com/watch/live/?v=874847726337934&ref=watch_permalink
« Devant les militaires et les lâches, la rue c'est tout ! Pour récupérer nos droits, la rue c'est tout ! Devant ceux qui nous ont tués, la rue c'est tout ! Aux hommes de Burhan, aux hommes de Kabashi, la rue c'est tout ! [...]
La liberté, la paix et la justice, c'est le choix du peuple ! et la sécurité c'est le choix du peuple ! [...]
Le chef de la province, dégage ! Le chef des forces rapides, dégage ! [...]
Il faut que notre voix arrive jusqu'à Khartoum. Le Soudan c'est aussi le Darfour. Nous voulons donner la vraie image de ce qui se passe ici, ce que les médias ne montrent pas, jusqu'à qu'on écoute nos revendications [...]
On ne rentrera pas, jusqu'à ce que l'injustice disparaisse ! [...] »
"Là où il y a la liberté, il y a une nation", à Kabkabia le 14 juillet. Twitter @MohanadElbalal
"Là où il y a la liberté, il y a une nation", à Kabkabia le 14 juillet. Twitter @MohanadElbalal
Entretien avec une militante venue de Khartoum :
https://www.facebook.com/watch/live/?v=209866650350380&ref=watch_permalink
"Je suis membre d'une association à Khartoum et je suis venue ici participer au sit-in de Nertiti. C'est un sit-in magnifique, une occupation formidable et forte, qui a pour but de défendre réellement les droits de gens. Il y a une ambiance ici, comment vous dire, si belle, ça encourage vraiment à rester, à ne penser ni à ce qu'on va manger ou boire. C'est un esprit incroyable. Nous demandons nos droits, et lorsque tu demandes tes droits, tu te rapproches d'un endroit qui ressemble à un paradis et un refuge. Le Darfour, c'est un paradis. On espère que le régime nous entendra et garantira les droits de tous, pas seulement les habitants de Nertiti mais les habitants de toute la région. On demande le respect, que chacun soit accepté et chacun soit transparent et que l'on soit unis. Les gens ici ne peuvent pas cultiver les choses et ne peuvent pas vivre dignement, ils ne peuvent pas pratiquer l'agriculture, parce qu'il n'y a aucune sécurité. Pourtant ça devrait être la chose la plus primordiale ! Je peux moi-même en témoigner, il y a trois jours quand on était ici avec l'association on s'est retrouvés sous les balles ! La paix et l'agriculture, ce sont les demandes."
Discours de la Ministre du Travail Lina Asheikh, membre de la délégation gouvernementale en visite au sit-in :
https://www.facebook.com/watch/?v=273178790604833
"Je vais vous dire la vérité, c'est un honneur pour moi de prendre la parole devant vous et après les collègues qui m'ont précédés [membres du sit-in]. Le changement dont nous parlons, celui que nous voulons, c'est celui-là. Ce que je vois ici, et ce sit-in, montre que ce mouvement est noble et qu'il faut en être fier. Après 30 ans d'injustice, d'ombre et de souffrance, le pouvoir a chuté pour que l'on puisse voir des scènes comme celle d'aujourd'hui. [...] Ce sit-in nous rappelle celui d'Al-Qyada. La révolution est le choix du peuple et ce sit-in est aussi le choix du peuple, et il nous dit quelque chose de très fort : nous voulons le changement, et c'est par la voie pacifique qu'on demande le changement. Je voudrais m'excuser du fait que nous ne sommes pas à la hauteur de vos attentes, mais j'espère que nous sorterons d'ici responsables, responsables de réaliser une par une vos demande. Je voudrais parler aussi aux femmes de Darfour et de Nertiti, et de leur dire que la souffrance qu'elles ont vécu, et ce que nous avons vécu en tant que femmes, tout cela sera bientôt du passé. Le changement que nous voulons c'est celui de la justice et de l'égalité pour chaque personne. Le changement ne se fera pas si la paix et la sécurité ne sont pas instaurés".
A noter cependant que d'autres sit-ins ont été récemment dispersés par la force et la violence, dans des circonstances peu claires, et surtout parce qu'ils étaient moins médiatisés que celui de Nertiti. De plus, les autorités réfléchissent à instaurer un décret interdisant d'"insulter" les militaires et les membres de la police. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Portraits et photos à voir sur Twitter :
https://twitter.com/mazinalrasheed/status/1282973899081146369