Il y a quatre jours, la coordination des salles d'intervention d'urgence - collectifs de terrain autogérés par les Soudanais-es pour soutenir les victimes de la guerre - a publié un communiqué alarmant dans lequel elle alerte les autorités et la communauté internationale du niveau extrême atteint par la famine dans la ville d'El Fasher, capitale du Nord Darfour.
Depuis mai 2024, les Forces de soutien rapide (RSF), dirigées Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemeti, assiègent El Fasher dans le but de s’emparer de cette ville stratégique, dernier bastion au Darfour non contrôlé par les RSF. Les Forces de Soutien Rapide ont pris possession de quatre des cinq États de la région. Depuis le début de la guerre, les groupes armés darfouris à El Fasher, alliés à l'armée soudanaise régulière, résistent aux attaques des RSF pour empêcher la ville de tomber aux mains de la milice. De nombreux-ses habitant-es ont pris les armes pour opposer une résistance armée aux RSF.
En représailles, les RSF bloquent les routes menant à la ville, empêchant les habitant-es de sortir de la ville et bloquant l'acheminement de l'aide humanitaire. C'est cet état de siège qui a conduit la famine, déjà avancée au cours des derniers mois, à un niveau d'urgence sans précédent.
Voici une traduction du communiqué de la coordination des salles d'urgence, publiée sur les réseaux sociaux :
Déclaration urgente du Conseil de Coordination des Salles d'Intervention d’Urgence du Nord du Darfour – 25 juillet
Ville d’El-Fasher
À toutes les parties prenantes locales, nationales et internationales, Aux organisations humanitaires et de secours, À l’opinion publique locale et internationale,
Le Conseil de Coordination des Salles d’Urgence du Nord du Darfour publie cette déclaration pour dresser le sombre tableau de la réalité humanitaire catastrophique vécue par des milliers de personnes déplacées et de citoyens à l’intérieur de la ville d’El-Fasher.
Les niveaux d’insécurité alimentaire ont atteint un seuil sans précédent : nos estimations de terrain indiquent une quasi-absence des denrées alimentaires de base, atteignant jusqu’à 88 % de pénurie. La crise a dépassé le stade d’alerte pour devenir une véritable tragédie humanitaire.
Les enfants et les femmes — les plus vulnérables — souffrent d’une faim extrême. Les scènes d’émaciation et de malnutrition aiguë sont devenues tristement courantes dans les camps et les communautés hôtes. Nous confirmons avec une profonde tristesse que des décès dus à la faim et à la malnutrition sont déjà constatés — une perte irréparable et inacceptable.
Nous, au Conseil de Coordination des Salles d’Urgence du Nord du Darfour, suivons de près cette catastrophe humanitaire qui s’aggrave de jour en jour. La situation à El-Fasher exige une intervention immédiate et continue, 24 heures sur 24. Tout retard signifie davantage de souffrances et plus de pertes de vies innocentes. Il n’y a pas de place pour la bureaucratie ni pour les complications face à la famine.
Nous tenons les parties prenantes et les organisations humanitaires pour responsables, moralement et éthiquement, de répondre immédiatement à cet appel et de prendre des mesures concrètes pour sauver ce qui peut encore l’être avant qu’il ne soit trop tard."

Photographies d'enfants à El Fasher, publiée sur les réseaux sociaux.
Photographie d'enfants à El Fasher, publiée sur les réseaux sociaux.
La salle d'urgence de camp de déplacé-es d’Abou Shouk, à l’ouest d’El Fasher, a également signalé l’épuisement de l’approvisionnement en eau du camp, en raison de pénuries de carburant ayant entraîné la fermeture des puits. Elle a également alerté sur la situation économique extrêmement difficile que traversent des dizaines de milliers de civils, tant dans le camp qu’à El Fasher. Selon ses données, quatre personnes meurent chaque semaine de faim parmi les personnes déplacées dans le camp d’Abou Shouk.
Dans un communiqué publié le 28 juillet, la coordination des comités de résistance d'El Fasher déclarait : "La faim nous dévore. Il n'y a plus de nourriture dans nos foyers, plus de pain sur les marchés, plus de force dans nos corps. La mort nous entoure à chaque instant."
La région est également en proie à une épidémie de choléra, qui se propage du fait de la destruction de plus de 80% des infrastructures médicales à cause de la guerre. Adam Rijal, porte-parole de la coordination des personnes déplacées et réfugié-es, a annoncé : "Le nombre de cas de choléra au Darfour a atteint 1 195 cas, entraînant 19 décès ces derniers jours". Le Darfour est un des épicentres de l'épidémie, qui frappe de nombreuses régions au Soudan.
La famine sévit aussi dans la région du Kordofan : selon les travailleur-euses humanitaires, plus de deux millions de personnes vivent cette région, dont la moitié est désormais confrontée à un risque de famine imminente. Jusqu'à récemment, cette région montagneuse isolée avait été relativement épargnée par les opérations militaires, les combats ayant principalement eu lieu à Khartoum et dans les zones centrales. Toutefois, à partir du début de l'année 2025, la situation s'est rapidement détériorée, et les Forces de soutien rapide ont pris le contrôle de vastes étendues de la région.
A travers tout le pays, les comités de résistance dénoncent la création d'un gouvernement parallèle par les RSF et leur aspiration à diviser le Soudan en deux pays pour prendre le contrôle de plusieurs régions. A travers les RSF, ce sont des puissances étrangères (notamment les Emirats Arabes Unis) qui cherchent à s'emparer des terres et des ressources du Soudan. Les comités de résistance dénoncent également le soutien militaire, financier et diplomatique, direct ou indirect, de nombreux acteurs internationaux envers la milice, renforçant ce projet de partition du pays.
Face à l'abandon du Soudan par la communauté internationale des États, la coordination des comités de résistance d'El Fasher appelle à la solidarité internationale entre les peuples : « D'El Fasher à Gaza, nous unissons nos voix pour dire : non à l'agression, non à l'injustice. Nous avons le même ennemi, notre combat est le même, et nous demeurerons fidèles à notre terre. » Ce communiqué témoigne de leur solidarité des habitant-es envers la population de Gaza, qui endure des conditions de vie semblables à celles des citoyen-nes d'El Fasher. Les comités de résistance analysent les violences extrêmes commises contre les deux population comme une stratégie néo-coloniale par laquelle des acteurs extérieurs cherchent à prendre le contrôle d'un territoire en éradiquant et déplaçant la population.
Pour soutenir la population locale à El Fasher, les seuls moyens de faire pression sont de mobiliser les élu-es pour que la communauté internationale impose l'ouverture de passages de l'aide humanitaire, et de faire des dons aux initiatives de levées de fonds montées par la diaspora soudanaise en exil, qui vont directement aux collectifs autogérés qui interviennent sur le terrain. L'une d'elle, Displacement and Health Relief Network, montée au Canada, a pu collecter 10 000 dollars pour soutenir les salles d'intervention d'urgence d'El Fasher. Vous pouvez participer en faisant un don sur ce lien.
------------------
Photographie de couverture : Photographies publiées sur les réseaux sociaux. Pancartes : "SOS : Pas de vie sans nourriture" ; "Nous sommes ici, nous attendons votre aide alimentaire".
Traduction du communiqué : Salah Shigaf