Réfugiés en Egypte et en Libye, oubliés de la crise sanitaire

27/03/2020 - par Sarah Bachellerie - Politique

Deux textes, l'un depuis la Libye et l'autre depuis l'Egypte, confrontent directement les gouvernements et les organisations internationales en les mettant face à leur inaction.

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Les personnes migrantes qui se trouvent en Egypte et en Libye, déjà fortement précarisées et marginalisées, alertent quant à l'arrivée de l'épidémie et leur vulnérabilité face au virus. Nous avons traduit deux textes, écrits par des réfugiés soudanais, et publiés et partagés à l'origine sur les réseaux sociaux, l’un depuis la Libye, l’autre depuis l’Egypte. Leurs auteurs témoignent de ce qui s’est passé ces dernières semaines et confrontent directement les gouvernements et les organisations internationales en les mettant face à leur inaction et leur abandon. 

Comme cela a été bien analysé et écrit ailleurs, l'état pandémique actuel ne semble que renforcer les inégalités économiques, sociales et géographiques, partout dans le monde, sacrifiant les populations précarisées et mal-logées. En Egypte et en Libye, où la situation économique est catastrophique (inflation des prix, pénuries), et où la situation politique est marquée aussi bien par l’insécurité que la répression, les ONG viennent de décider en accord avec les gouvernements la fermeture de leurs bureaux, alors que les personnes migrantes en dépendent pour tous les services de base.

Alors, face au délaissement des gouvernements, des associations et organisations internationales, les communautés réfugiées s'organisent pour mettre en place de la prévention, de l’entraide, et aussi faire entendre leur colère vis-à-vis du système international qui les sacrifie à l’épidémie.  

« Les migrant.e.s et le Corona, et si... »

Par Mohamed Sheikh, Tripoli (Libye), le 21 mars. 

« On dit que le bonheur naît de la souffrance, mais, mon cher, ma chère, notre bonheur à nous est toujours prisonnier d'un ventre d'acier.

Quand le soleil se lèvera-t-il enfin sur l’Afrique du Nord ?

Va-t-en loin de nous, Coronavirus, et laisse-moi tranquille.

Cher lecteur, chère lectrice, salut à toi, où que tu sois.

Nous attendons encore que soient faites des études, que des solutions soient examinées et mises en place, pour nous permettre de faire face au Coronavirus. 

Nous vous invitons à réfléchir ensemble à la question, en profondeur.

Quel sera le sort des milliers d’immigré.e.s et d’habitant.e.s des personnes affectées par les événements qui se déroulent actuellement dans la capitale sainte [Tripoli], où prolifèrent les prédateurs qui prennent en otage des innocents ? Quel sera le sort de celles et ceux qui sont attrapé.e.s par les milices ? 

La peur n’a cessé de grandir en nous depuis les dernières semaines...

L’UNHCR et le gouvernement d’Union nationale ont signé des accords qui ont conclu à la libération des gens détenus dans les centres, et à la fin de la détention [des migrant.e.s]. Cette décision a effectivement été mise en application dans une partie des centres de détention. 

Cependant, le problème principal reste la question du logement et de la sécurité, notamment la sécurité alimentaire ; ainsi que les autres besoins, notamment des femmes qui ont des jeunes enfants, et des femmes enceintes. 

Mais la question qui se pose, c’est : comment les personnes migrantes pourront-elles se déplacer, avec une attestation de demande d’asile qui n’est même pas reconnue ? 

Nous savons qu'un accord a été conclu entre les directions des ONG et les responsables du gouvernement d’Union nationale. J’ignore ce qu'il adviendra dans le court terme et ce que cela impliquera pour notre futur proche. 

Suite à la libération des personnes détenues dans les centres de détention officiels, [les autorités] ont examiné beaucoup de questions liées aux migrations, mais n'ont pas abordé celle du logement des personnes migrantes. Or, les réfugié.e.s se sont depuis éparpillé.e.s, de manière individuelle, chez leurs proches, dans les quartiers de Tripoli et des villes avoisinantes où habitaient leurs ami.e.s, leurs familles, leurs camarades, leurs connaissances. Ces quartiers connaissent aujourd'hui une surpopulation sans précédent, et sont devenus irrespirables. La peur des milices, des épidémies et des maladies, et de tous les maux connus de la migration, ont affecté la liberté des habitant.e.s ; et les tentatives de traverser la mer vers une terre plus sûre se sont réduites.

Nous demandons à vivre, nous sonnons l'alarme mais ils partent sans s'en préoccuper. [...]

Mais, cher lecteur, chère lectrice, il n’y a qu’une seule chose qui nous importe : s'inquiéter de l’invité qui est en chemin – le corona, comme ils l’appellent ; un possible génocide des nations et des peuples. 

Comment allons-nous le traiter ? Quels moyens de prévention allons-nous mettre en place, pour s’attaquer à notre situation actuelle en Libye : la ségrégation, la dispersion, et la distance les un.e.s des autres ? 

Et, actuellement, personne parmi nous ne porte de masque, ni de gants, personne ne se met en quarantaine. Malgré les prescriptions qui ont été annoncées [internationalement] pour protéger les populations, aucun.e d'entre nous ne peut s'y conformer, car rien ne nous a été fourni pour respecter ces conditions. [...]

J'aimerais dire « que Dieu nous protège tous et qu’il guérisse tout le monde de la maladie »… Mais ces discours ne suffiront pas ! Car pendant ce temps, les habitant.e.s de la région devraient se préparer collectivement, mettre en place le confinement ; et on devrait nous fournir du matériel de nettoyage, et d’autres choses utiles pour prévenir l’arrivée du virus…

Or, pour toutes les raisons liées à ce qui vient d’être dit dans l’article, nous restons là, les bras croisés. Depuis la fermeture de l’UNHCR, leurs bureaux sont fermés aux personnes vulnérables qui viennent d’être libérées des centres. 

De nombreuses questions travaillent mon esprit. 

…. Une personne migrante, aujourd’hui, ne peut pas acheter le matériel nécessaire !.. 

….. Quelle sera sa situation si elle est reconnue victime du corona ?

….. Avec le couvre-feu, les chances de trouver un emploi vont diminuer. Où les personnes réfugiées trouveront-t-elles de quoi manger ?

…. Le traitement contre le corona sera-t-il gratuit et pourrons-nous y avoir accès ?

…. Le virus ne serait-t-il pas une sorte de "bien néfaste" ? [ayant entraîné la libération des centres mais poussant les personnes dans d'autres problèmes et dangers? ]

…. Et qu’en est-il de tous ceux qui vivent dans des maisons comme les nôtres ?… »

[...]

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Image partagée sur les réseaux sociaux. Homme à table : le UNHCR ; la table : "restez chez vous" ; sous la table : les réfugiés. 

« Ce que j'ai à dire sur le Corona »

Par A., Le Caire (Egypte), le 18 mars.

« La société des réfugié.e.s et l’épreuve du Coronavirus...

Nous avons vu en cette année 2020 se répandre le danger du virus qui menace la vie du monde entier. Il a commencé par la Chine, et puis s’est étendu à toutes les populations mondiales. Les médias ont prévenu les populations de l’étendue de la menace, sans les rassurer ; de telle sorte qu’elles ont cédé à la panique et à la peur. 

L’ Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a rappelé à quel point le Corona était dangereux pour les sociétés, et a expliqué que pour éviter une infection à grande échelle, il fallait éviter la promiscuité ainsi que les attroupements dans les lieux publics, comme les écoles ou les transports en commun. Les états ont initié des campagnes de prévention contre le virus. Et parmi eux, certains Etats ont déclaré un état d’urgence sanitaire afin de protéger la vie de leur population.

Mais nous souhaitons rappeler une chose aux Nations-Unies, à l’OMS et au Haut Commisariat aux Réfugié-es (UNHCR) : qu’en est-il de la communauté des réfugié.e.s, qui sont victimes de leur système ? Qu’en est-il de celles et ceux qui sont exclu.e.s, non seulement par les Etats d’accueil, mais aussi par les Nations-Unies elles-mêmes ?

L’Egypte a annoncé qu’elle prendrait des mesures de protection vis-à-vis de ses citoyen.ne.s, notamment en limitant ou interdisant les rassemblements. Certaines institutions ont commencé publier des instructions pour sensibiliser la société égyptienne aux gestes nécessaires pour s’auto-protéger contre "l’ennemi corona", qui est apparu récemment dans le pays. Et le pouvoir s’est engagé à combattre le virus, pour le bien de ses citoyen.ne.s. Mais qu'en est-il des autres ?

Malheureusement, en attendant la reprise des activités des organisations responsables des réfugié.e.s en Egypte, les communautés réfugiées ne peuvent plus vivre dignement. Tous.tes les réfugié.e.s veulent pourtant vivre avec dignité, préserver leur santé, et souhaitent vivre dans des conditions humaines.

Questions que je pose

1) Quel est le rôle que l’UNHCR est censé jouer en Egypte, face au défi du corona ?

2) Pourquoi l’UNHCR et les organisations partenaires se sont-elles contentées d’envoyer un SMS aux réfugié·es, sans leur apporter de solutions pour faire face à ce virus de merde ?

3) L’Etat égyptien a-t-il pris en compte la communauté des réfugiés dans sa population ? A-t-il prévu que les hôpitaux d’urgence puissent contenir tou·te·s les  réfugié·es et puissent leur prodiguer les soins nécessaires ?

4) Y aura-t-il un suivi des besoins des réfugié.e.s, étant donné que les autorités ont annoncé la fermeture des institutions, y compris les organisations qui sont officiellement responsables des réfugié·es et qui les assistent sur le plan sanitaire, alimentaire, et financier ?…

5) Le HCR a-t-il prévu de mettre en place des mesures pour les prochains réfugié.e.s, notamment la délivrance de titres de séjour ou de titres de protection ?

Pour le logement : vous, au HCR, et dans les autres organismes en charge des réfugié·es, quelles dispositions avez-vous prises ? Appliquerez-vous les décisions que les autorités égyptiennes ont déclarées, et qui ne prennent aucune précaution pour garantir la sécurité des réfugié-es ?

Alors que le Coronavirus se propage dans les pays où les réfugié.e.s se trouvent aussi, et notamment en Egypte, pourquoi l’OMS et l’ONU n’ont-ils pris aucune mesure les concernant ? Le sort des réfugié·es n’est-il pas entre leurs mains ? Lors de la conférence de presse de l’OMS, qui a eu lieu à Genève, la question des réfugié-es et de leur protection n’a même pas été abordée...

… alors qu’on sait bien les difficultés des pays "en développement" et la manière dont ces états traitent les réfugié·es. Ces états faisaient face à des crises économiques, et agissaient de manière inhumaine, bien avant la pandémie de Corona ;  qu’en sera-t-il après l’arrivée du virus ?...

Dieu, protège tous.tes les réfugié·es du monde entier du Coronavirus. Protège tes fidèles, et les réfugié.e.s en Egypte, de la guerre capitaliste.

Toute ma solidarité va à la communauté des réfugié.e.s. 

Sois rassuré.e, réfugié.e, car ton dieu est avec toi. Nous devons nous entraider.

Que tous les gens bons aident les réfugié.e.s sur la terre entière, et surtout en Egypte.

#Les_guerres_des_grandes_puissances ».

Sarah Bachellerie

Militante française contre le racisme et pour les droits des personnes étrangères, et jeune chercheuse sur les frontières en Europe. Elle a étudié l'arabe en Égypte où elle a également mené des recherches sur les politiques migratoires égyptiennes.

Politique

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