C’est le jour de l’Aïd Al-Adha, une fête importante pour les musulmans, mais c’est un calme absolu qui règne au 12 rue Candale, à Pantin. La majorité des habitants du squat « Al Zol » travaillent, dans la restauration, le bâtiment, dans des usines agro-alimentaires, et n’ont pas pu prendre un jour de congé pour célébrer l’Aïd. Les habitants, en majorité des Soudanais, sont des anciens demandeurs d’asile qui ont obtenu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire depuis le début de la guerre en avril 2023. Malgré l’obtention d’un titre de séjour et d’un travail, les habitants continuent de faire face à une grande difficulté d’accès au logement dans la métropole parisienne.
Face aux expulsions, la mobilisation s’organise
Un communiqué rédigé quelques mois plus tôt par les habitants du squat et collectifs de soutien rappelle que la crise du logement en Île-de-France ne cesse de s’aggraver depuis plusieurs années, dans un contexte où les acteurs publics construisent de moins en moins de logements sociaux tandis que la demande augmente (1). La gentrification et la spéculation immobilière entraînent une augmentation effrénée des prix de l’immobilier sur le marché privé, ce qui produit une explosion du nombre de personnes sans-domicile. La Fondation pour le Logement des Défavorisé·es estimait dans ainsi son rapport de 2023 environ 330 000 personnes sans-domicile en France, comprenant les personnes sans-abris, en centre d’accueil de demandeur·euses d’asile (CADA), à l’hôtel, ou dans des logements associatifs. Les personnes étrangères y sont sur-représentées : selon la dernière enquête de l’INED sur ce sujet, datant de 2012, 55% des sans-domiciles étaient né·es à l’étranger. Les associations estiment que la part d’étranger·es ne cesse d’augmenter, y compris celle des demandeur·euses d’asile, malgré la prise en charge en hébergement prévue juridiquement dans le dispositif d’asile.
Depuis le 1er avril 2025, jour de la fin de la trêve hivernale, Al Zol et la Trotteuse sont expulsables, alors que la plupart des habitant·es n’ont pas de solution de relogement. « L'expulsion d’Al Zol, ça arrive dans un contexte où tous les squats de Paris sont en train de fermer », estime Alyas, ancien habitant du squat. « Il n'y a plus que nous et la Trotteuse maintenant. Avant il y avait plein de squats, à Maison-Alfort, à Ivry, à Vitry... Cette vague d’expulsion a commencé avant les Jeux Olympiques et a continué depuis. » La loi Kasbarian-Bergé, adoptée le 2 février 2023, facilite les expulsions de locataires et réprime fortement la pratique du squat, ce qui « rend très compliquée l’utilisation de bâtiments vides pour les transformer en lieux de vie et de solidarité » (2).

Pour se mobiliser contre l’expulsion imminente d’Al Zol et de la Trotteuse, de nombreuses manifestations ont été organisées ces derniers mois : des manifestations et rassemblements devant la mairie de Pantin, un bal populaire place Stalingrad, des cantines et soirées de soutien…
Les habitants interpellent la municipalité, demandant son opposition à l’expulsion des deux bâtiments. Ils réclament également la mise à disposition de solutions de relogement en cas d’expulsion pour les habitants, qui n’ont pas choisi de vivre en squat mais vivent ici faute d’avoir accès à un logement digne. Omar, ancien habitant d’Al Zol, affirme : « On se mobilise pour demander le relogement de tous les habitants, sinon on ne partira pas. »

Rassemblement devant la mairie de Pantin le 06/05/2025 - Source : Bondy Blog
Al Zol, un carrefour de solidarités
Le squat Al Zol a déjà plus de 3 ans : il a été ouvert le mercredi 26 janvier 2022 par un collectif de Soudanais, Erythréens, Ethiopiens et Tchadiens, qui avaient été expulsés par la police d’un autre squat à Saint-Ouen. Alyas, qui fait partie du collectif « ouvreur » du squat, retrace son histoire :
« Quand j’habitais à Nantes, je vivais aussi en squat. Après j’ai vécu en logement social, mais quand j’ai été débouté de l’asile, et qu’on m’a ordonné une expulsion du territoire français, j’ai dû chercher des solutions. J’ai eu l’idée de partir pour Paris. Je me suis installé dans un campement dans la rue près de la gare routière de Bercy. Il pleuvait et il faisait froid, et la vie était insupportable. Un jour, un homme raciste a attaqué le campement avec une épée et un couteau, il a blessé celui qui vivait dans la tente à côté de moi. Après cet incident, on a cherché un autre endroit où vivre plus en sécurité, et avec l’aide de militant·es français·es, on s’est rassemblé·es à 25 personnes pour chercher un lieu. On a trouvé un bâtiment à Saint-Ouen dans lequel on est restés 3 semaines, puis la police nous a expulsés. Après ça, on a trouvé ce lieu ici à Pantin. »
Il se souvient de cette époque avec émotion : « J’étais partagé entre joie et appréhension. Ce n’était pas facile, mais il fallait de la volonté et de la détermination. » Les ouvreurs ont hésité entre deux noms pour baptiser ce nouveau lieu occupé : « Chenou ? » (« Quoi ? ») et « Al Zol » (« Le gars »), deux mots caractéristiques de l’arabe soudanais.
Le bâtiment a accueilli au fil des années plusieurs centaines de personnes, en majorité des Soudanais, mais aussi des Ethiopiens, Djiboutiens, Somaliens... Tous les habitants sont des hommes seuls, car l’accès à l’hébergement d’urgence est particulièrement difficile pour eux. Selon Alyas, certains ont continué vers l'Angleterre, d'autres ont eu accès à un logement social, libérant ainsi leur place dans le squat pour d’autres. « En tout, je pense plus de mille personnes sont passées par ici », estime-t-il. « En général on était toujours entre 60 et 80. »

Vue depuis le squat - Photo : Sudfa Media
Omar et Alyas, anciens habitants du squat, ont eux aussi fini par accéder à un logement plus pérenne. Malgré cela, ils reviennent toutes les semaines pour assurer une permanence d'accès aux droits et aider bénévolement les autres habitants. En effet, depuis le début, une forte solidarité s’est organisée autour du squat, par les associations, les habitant·es de la ville de Pantin, et les personnes exilées elles-mêmes. Par exemple, des Soudanais·es habitant en région parisienne viennent régulièrement soutenir les habitants du squat dans différentes démarches, ou faire la traduction pour faciliter le contact avec les associations.
« Pour la nourriture, par exemple, des collectifs nous amenaient des légumes du marché. Il y a tous les mercredis une permanence pour aider les habitants à faire leurs démarches administratives, notamment au niveau du logement, et où participent des associations, des anciens habitants, ou d’autres Soudanais qui connaissent bien ces démarches », raconte Alyas. Les murs de la salle à manger, couverts de liste de numéros et d’adresses d’associations d’aide aux exilé·es à Paris, témoignent de cet important réseau de soutien.

Contacts d'associations solidaires sur les murs du squat - Photo : Sudfa Media
Pour venir habiter dans le squat, il y avait une longue liste d’attente. Malgré la forte demande, les habitants ont toujours refusé d’installer des tentes dans le jardin, pour éviter que le squat ne devienne comme un campement. « Ici, on est en sécurité », affirme Omar. « On n’a jamais eu de problèmes de violence, ni entre les habitants, ni avec la police. Ce n’est pas un vrai logement, mais c’est quand même beaucoup mieux que vivre à la rue. »
Un des principaux souvenirs que ces deux anciens habitants retiennent de leur expérience de vie dans le squat est l’autogestion et la solidarité entre les habitants : « On était très bien organisés, il y avait une commission de cuisine, et on faisait à manger pour tout le monde à tour de rôle. Régulièrement chacun donnait 50 euros, et avec ça, on achetait à manger pour tout le monde. On faisait des assemblées d’habitants toutes les trois semaines, pour discuter des différentes questions liées à la vie collective. On n’a jamais eu de problème pour vivre ensemble. »
Les conditions de vie en squat restent difficiles : Omar explique que cette expérience a changé complètement son regard sur la France, qu’il croyait être un pays riche où on pouvait vivre bien, et où il n’avait jamais imaginé qu’il vivrait un jour à la rue. Comme d’autres habitants, il a commencé ses études de français puis continué sa formation à l’université alors qu’il vivait dans le squat : « Je faisais mes études pendant que j'habitais ici, c'était compliqué, parce qu'on n'a pas d'intimité, il y a tout le temps du bruit... »
Malgré ces difficultés, les deux amis retiennent aussi beaucoup de bons souvenirs de la vie collective : des fêtes de mariage, des naissances qui ont été célébrées dans le squat, des fêtes de quartier avec les voisins…
Un lieu emblématique des luttes de la diaspora soudanaise en France
Le squat Al-Zol, au fil des années, est ainsi devenu un des lieux importants de la diaspora soudanaise en région parisienne. Khaled, membre du collectif « Soudanais contre la guerre », se souvient qu’au début des mobilisations contre la guerre au Soudan en avril 2023, le collectif se réunissait au squat Al-Zol pour préparer les manifestations. « C’est devenu un lieu central des mobilisations des Soudanais, c’est pourquoi pour nous c’était logique de se réunir ici pour s’organiser pour protester contre la guerre ».
Depuis, la guerre au Soudan n’a cessé de s’aggraver, provoquant des tensions au sein la communauté soudanaise en France. Malgré ce contexte très violent, la vie collective dans le squat est restée paisible, selon Omar : « Ici les gens viennent de toutes les régions du Soudan, mais tout le monde s’entend bien. On ne parle pas de la politique soudanaise. Car ici, en France, on a les mêmes problèmes : nos deux problèmes principaux sont le logement et la maîtrise de la langue. »
En trois ans d’existence, le squat Al-Zol aura laissé une empreinte importante, à la fois dans l’histoire des luttes des exilé·es soudanais·es en France et dans les luttes pour un logement digne à Paris. Alyas conclut : « Cette expérience a été emblématique pour tou·tes les Soudanais·es à Paris. Nous avons pu établir un lien entre les Soudanais·es vivant en France depuis longtemps et les nouveaux arrivants. Nous avons réussi à créer une atmosphère positive marquée par le respect et l’estime mutuels. Nous sommes devenus un des visages de la communauté soudanaise pour de nombreux événements et avons établi de véritables relations avec la société qui nous entoure. Nous faisons désormais partie intégrante de notre environnement, partageant tout avec eux. »
On peut ainsi lire sur les murs du squat : « Al Manfa Kiffah », « L’exil est une lutte ! ». Ces prochaines semaines, les mobilisations en soutien aux habitant-es continuent : pour les soutenir, vous pouvez suivre les appels sur le site Squat.net !.

"Al Manfa Kiffah", "L'exil est une lutte !" : inscription dans le jardin d'Al Zol. Photo : Sudfa Media
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(1) Source : Communiqué : "Pantin : Al Zol et la Trotteuse, rassemblements de soutien"
(2) Source : Communiqué : "Pantin : Al Zol et la Trotteuse, rassemblements de soutien"