Soudan contre Emirats Arabes Unis : une bataille juridique historique

13/04/2025 - par Hamad Gamal - Actualités au Soudan

Ce 10 avril 2025, un événement historique a eu lieu à La Haye. La Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations unies, a entamé l’examen d’une plainte déposée par l’État soudanais contre les Émirats arabes unis. Pour la première fois, un pays africain ose porter devant la justice internationale les ingérences d’une puissance du Golfe.

Ce 10 avril 2025, un événement historique a eu lieu à La Haye. La Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations unies, a entamé l’examen d’une plainte déposée par l’État soudanais contre les Émirats arabes unis (EAU). Le gouvernement soudanais accuse en effet les Emirats de soutenir activement les Forces de soutien rapide (FSR), la milice paramilitaire accusée de génocide et crimes de guerre au Darfour mais aussi dans tout le Soudan.

Ce procès ouvre une nouvelle page dans les relations internationales et met en lumière le rôle trouble de certaines puissances régionales dans la déstabilisation de l’Afrique.

Une accusation grave : le soutien à un génocide en cours

Lors de la première audience, le ministre soudanais de la Justice, Muawiya Osman, n’a pas mâché ses mots. Il a affirmé devant la Cour que « les Émirats arabes unis sont la force motrice du génocide perpétré au Darfour contre la tribu des Massalit », et que ce soutien militaire, logistique et financier à la milice FSR est un facteur central de la violence qui ravage aujourd’hui l’ouest du Soudan.

Depuis le début du conflit en avril 2023, la milice FSR est accusée d’avoir mené des campagnes d’exécutions, de viols de masse, de déplacements forcés et de pillages systématiques. Ces crimes, documentés par beaucoup d'activistes, d'associations, notamment via le témoignage des survivants, ont conduit le Soudan à invoquer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (fondée en 1948), pour laquelle la CIJ est compétente.

Le rôle des Émirats arabes unis dans la région : entre ingérence et influence

Les accusations portées par le Soudan ne surprennent pas les analystes. Depuis plusieurs années, les Émirats arabes unis ont joué un rôle actif – et souvent controversé – dans divers conflits régionaux, notamment en Libye, au Yémen, et dans la Corne de l’Afrique. Leur stratégie s’appuie sur un mélange de soutien militaire aux groupes armés, de diplomatie économique agressive, et d’influence médiatique massive, à travers des chaînes satellitaires et des campagnes sur les réseaux sociaux.

Mais au Soudan, le scénario a déraillé. Contrairement à d’autres pays où le gouvernement emirati a su imposer son agenda sans grande résistance, la population soudanaise – forte de son expérience révolutionnaire depuis 2019 – ainsi que l’armée nationale, ont opposé une résistance farouche aux tentatives de mainmise extérieure. Face à cet échec, les EAU ont opté pour une guerre de l’information, lançant des campagnes de désinformation et de dénigrement contre les institutions soudanaises et leurs dirigeants.

Une guerre médiatique parallèle

Cette offensive médiatique a été particulièrement visible depuis 2023. Des centaines de pages Facebook, de comptes X (Twitter) et d’influenceurs ont été mobilisés pour attaquer l’armée soudanaise et semer la confusion au sein de l’opinion publique. Objectif : diviser, affaiblir, et briser toute tentative d’unité nationale. Une stratégie qui, selon plusieurs experts, reflète l’ampleur de la frustration des Émirats face à un pays qui refuse de céder à leur domination. Ils soutenaient la milice FSR dans l'objectif précis que celle-ci était une force d'opposition à l'armée ces dernières années.

Cette guerre de l’image s’est aussi traduite par le silence des grandes chaînes arabes – souvent financées ou influencées par les EAU – sur la plainte déposée devant la CIJ. Selon l’activiste Hisham Othman, cette absence de couverture « illustre la lâcheté de nombreux médias arabes, qui préfèrent se taire malgré la sympathie réelle des peuples arabes envers la cause soudanaise ».

Une bataille diplomatique et juridique à fort impact

L’audience de la CIJ pourrait marquer un tournant. Même si une décision définitive prendra des mois, voire des années, ce procès ouvre plusieurs perspectives. D’un point de vue politique, il met les Émirats arabes unis sous les projecteurs, les obligeant à répondre publiquement à des accusations graves. Leur réputation internationale, longtemps protégée par leur puissance économique, se trouve fragilisée. D’un point de vue juridique, la CIJ peut émettre des mesures conservatoires – comme interdire tout soutien militaire aux FSR – et renforcer la pression sur Abou Dhabi.

Selon l’activiste Anas Mansour, il s’agit d’un moment historique : « Pour la première fois, un pays africain ose porter devant la justice internationale les ingérences d’une puissance du Golfe, en s’appuyant sur un traité vieux de plus de 75 ans. »

Une leçon pour les ingérences futures

La situation actuelle montre les limites d’un modèle d’influence par la force et l’argent. Là où les EAU ont pu imposer leur vision en exploitant la fragilité institutionnelle d’autres pays, le Soudan offre un contre-exemple puissant : celui d’un peuple en lutte, d'un message porté par des militant.e.s et des collectifs infatigables, et d’une mobilisation nationale pour la souveraineté, soutenues par des membres du gouvernement.

Le vrai enjeu, désormais, dépasse le cadre du tribunal. Il s’agit pour le Soudan de maintenir l’unité nationale, de résister aux tentatives de déstabilisation, et de faire entendre sa voix dans un système international souvent biaisé. Construire et reconstruire un avenir loin de la manipulation géopolitique et économique internationale de différences ethniques locales, ayant servi de justification à un génocide sanglant. Cette plainte, bien que tardive, est un pas vers la reconnaissance de la vérité, la fin de l’impunité, et peut-être, l’ouverture d’un nouveau chapitre pour la justice en Afrique.

Hamad Gamal

Militant soudanais en exil, étudiant en sociologie à l’Université Lyon 2 et à Sciences Po Paris. Il est le co-fondateur de Sudfa, et auteur de nombreux articles et lettres ouvertes en défense des droits des migrant.e.s et réfugié.e.s en Europe.

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