Sur les réseaux sociaux, les Soudanais·e·s expriment leur colère et déception après la prise de pouvoir de la ville de Wad Madani par les Forces de Soutien Rapide (RSF), suite au départ de l'armée. Le 20 décembre, les RSF ont annoncé avoir pris le « contrôle entier » de l’Etat de Gezira, une victoire décisive pour eux.
Que s'est-il passé à Wad Madani ?
Cette prise de pouvoir de la ville de Wad Madani par les Forces de Soutien Rapide (RSF) est une nouvelle dramatique pour le Soudan. Depuis le début de la guerre le 15 avril dernier, la milice génocidaire qui s'oppose à l'armée soudanaise n’a cessé de gagner du terrain, à l’Ouest (Darfour) puis à l’Est du pays. Composée de mercenaires sans projet politique, elle prospère sur une économie de la guerre et de la destruction.
Située à une localisation stratégique – à 195 kilomètres de la capitale Khartoum - la ville de Wad Madani était jusque-là épargnée par les combats. C’est la raison pour laquelle elle accueillait le plus grand nombre de déplacé·e·s de la capitale et que beaucoup d’organisations humanitaires y avaient été délocalisées. Entre le 17 et le 18 décembre, les RSF sont parvenus à encercler Wad Madani, puis à prendre le contrôle du siège des forces armées et du commissariat central. Alors que l’armée procédait à des bombardements aériens pour empêcher la progression des RSF, elle a finalement annoncé son retrait et mis fin aux combats, laissant la milice prendre le contrôle de la ville.
Cette situation a provoqué une vague de terreur parmi les citoyen·ne·s. Alors que le chef des RSF, Mohamed Hamdan Dagalo, a annoncé vouloir « assurer la sécurité des habitant·e·s », la population soudanaise sait pertinemment que la milice est connue pour commettre des violences de masse dans les villes conquises. Les comités de résistance (organisations civiles révolutionnaires basées dans chaque quartier) de Wad Madani ont déjà commencé à rapporter des cas de viols et des tueries commises par les RSF sur des civils. De très nombreux appels ont été lancés sur les réseaux sociaux pour demander de l'aide afin d’évacuer les malades et les blessés hors de la région.
La vie s'est complètement arrêtée à Wad Madani. Au moins 300 000 personnes ont pris la fuite vers les villes avoisinantes. Celles qui n’ont pas pu s’enfuir se retrouvent à présent bloquées dans la ville, à court de transport en raison de la pénurie de carburant et des prix élevés.
Les Forces de Soutien Rapide, quant à elles, continuent de gagner du terrain : elles ont déjà pris le contrôle de tout l’état de Gezira. En conséquence, les organisations humanitaires de l’ONU, qui apportaient une assistance alimentaire à plus de 800 000 personnes dans cette région, ont annoncé qu’elles suspendaient leurs activités dans l’état de Gezira en raison de l’insécurité, renforçant la crise humanitaire.
Plus à l’est, dans la ville d’El Gedaref (état de l’Est), des rumeurs courent que les RSF seraient en route vers l’Est : les habitant·e·s et déplacé·e·s de Khartoum qui ont trouvé refuge dans la région sont terrorisé·e·s à l’idée que la milice arrive à El Gedaref. Beaucoup de personnes ont déjà fait leurs bagages, envisageant de se déplacer encore plus à l’est.
Ce n'est pas la première fois que l'armée abandonne sa position dans une ville. Au mois de novembre, elle s’était retirée d'El Geneina, une ville à la frontière avec le Tchad, après qu’un génocide y ait été commis par les RSF. Plus tôt en octobre, à Nyala (Sud Darfour), l'armée a quitté la ville, laissant derrière elle les citoyens et toutes les institutions administratives. L’armée a également abandonné les villes de Sennar (centre du Soudan) et Al-Daein (Darfour).
Dans cette dernière ville, l'armée n'a pas résisté plus d'une heure et a remis toutes ses armes ainsi que son quartier général aux RSF.
Ces retraits successifs de l'armée ont engendré une profonde frustration au sein de la population. Celle-ci ne comprend pas pourquoi l'armée abandonne aussi facilement ses positions, laissant les institutions étatiques et les citoyens sans protection ni assistance, exposant ces derniers des violences extrêmes et des conséquences humanitaires désastreuses.
L'armée a annoncé qu'elle procédait à des investigations sur les circonstances qui ont conduit à la défaite militaire. Lors d’une conférence de presse, le porte-parole officiel a annoncé que les résultats de ces enquêtes seront ensuite clarifiés pour l'opinion publique. Il s’agissait de la première communication officielle de l'armée relative à une défaite militaire. Lors de la prise de contrôle des quatre villes principales du Darfour par les RSF, l’armée était restée silencieuse.
Réactions de colère sur les réseaux sociaux
Suite à la défaite de l’armée à Wad Madani, après une onde de choc généralisée, les Soudanais·e·s ont exprimé sur les réseaux sociaux de fortes réactions de colère. Les internautes ont vivement critiqué l'armée, l'accusant de faiblesse et de lâcheté. Beaucoup considèrent que cet épisode est une preuve que l’armée est incapable de protéger les civils. Certaines personnes demandent que le commandement de l’armée soit remplacé.
Les critiques se sont multipliées, mettant en doute la sincérité et l'intégrité de l'armée dans son rôle de protection et de sécurité . Une partie des Soudanais·e·s questionne les motivations politiques cachées derrière ce retrait, soupçonnant même une coopération officieuse entre l'armée et les RSF. Certaines publications sur les réseaux sociaux suggèrent même qu'un accord secret a été conclu avec les RSF .
Comme le rappelle Jaafar Hasan, porte-parole du parti politique civil « Forces pour la liberté et le changement » dans un entretien au média soudanais Radio Dabanga , « si l’armée et les RSF avaient accepté de signer l’accord » qui encadrait la transition démocratique civile et prévoyait la réforme de l’institution militaire, « la guerre aurait pu s’arrêter dès le premier jour, ou même ne jamais avoir lieu ».