Soudan - Les comités de résistance : une révolution par la base

04/11/2021 - par Sarah Bachellerie Hamad Gamal - Politique

Les comités de résistance, également appelés comités de quartier, sont des acteurs centraux des mobilisations actuelles contre le coup d'Etat au Soudan. Ils sont la principale structure d'auto-organisation de la révolution Soudanaise. Quelles perspectives de démocratie directe offrent-ils pour le Soudan ?

A Khartoum, la semaine dernière, une révolutionnaire surveille pendant la nuit la barricade construite par ses camarades.

Les comités de résistance - également connus sous le nom de comités de quartier - ont émergé comme un acteur central dans la lutte des Soudanais·e·s contre le précédent régime islamiste. Ils ont été le pivot du succès de la révolution de décembre 2018, qui a déraciné le régime du dictateur Omar el-Béchir. De nombreux acteurs politiques parient que les comités de résistance joueront un rôle central dans le processus de transition démocratique dans lequel le pays est engagé. Ils ouvrent également de réelles perspectives de démocratie directe, « par la base », grâce à leur expérience de l’autogestion et leur implantation locale.

Les comités de quartiers : une convergence entre la solidarité locale et la résistance politique

A l’origine, les comités de résistance étaient de simples groupes de citoyens et citoyennes qui se sont formés dans les quartiers de différentes villes au Soudan, afin de mettre en place par eux-mêmes les services de base qui manquaient dans les quartiers, tels que l'électricité et l'eau, et d’améliorer les conditions et les services dans les écoles et les hôpitaux (en achetant du matériel scolaire ou médical, en rénovant les bâtiments). Par exemple, en septembre 2019, dans le village de Zuhal (Etat de Gezira), les comités de résistance ont lancé une campagne de reconstruction du puits du village ; dans le quartier Klakla à Khartoum, en janvier 2020, ils ont organisé un grand nettoyage collectif des espaces publics alors que les ordures s’accumulaient dans la rue dans l’indifférence des pouvoirs publics. Dans la ville d’Al Obeid, en avril 2021, ils ont planté des arbres pour soutenir la production de gomme arabique qui fait la richesse économique de la ville. Ces mouvements d’autogestion locale regroupent des habitant·e·s du quartier qui appartiennent à toutes les différentes classes d’âge et classes sociales, même si les jeunes hommes et femmes y sont particulièrement actifs.

Al-Obeid, octobre 2019, les jeunes du comité de résistance plantent des arbres à gomme arabique dans la ville

En septembre 2013, après la séparation du Soudan du Sud et la perte des ressources pétrolières de cette région, une grande crise économique a frappé le Soudan du Nord, ce qui a déclenché un mouvement une révolte populaire. Les comités de résistance se sont alors trouvés aux premiers rangs de cette révolte, exigeant la chute du régime. A partir de cette époque, les « comités de résistance » sont devenus un acteur politique important dans l’arène politique soudanaise, au même niveau que les organisations politiques et les syndicats.

Leur apparition a poussé l'ancien régime, dirigé par Omar el-Béchir, à concentrer principalement la répression sur ces comités de résistance. Le régime a cherché à les démanteler afin qu'ils n’étendent pas leur influence dans les quartiers où ils étaient actifs, parfois en tant qu'organisations politiques et parfois en tant qu'associations de services sociaux et humanitaires. L’important travail de terrain réalisé par les comités de résistance leur a valu la confiance des habitant·e·s des quartiers.

Le rêve des citoyen·ne·s et militant·e·s des comités de résistance était de reconstruire le pays par la base, en commençant par l’échelle locale du quartier. Petit à petit, la confiance et le soutien que leur ont témoigné les habitant·e·s leur ont donné l’enthousiasme d’étendre ce rêve à la nation toute entière. Ils ont lancé le hashtag « Hanabniho », qui signifie « nous le reconstruirons », sous-entendu le pays.

Discussion organisée par le comité de résistance du village de Khomasy (Etat du Kordofan), en 2020.

Une activité politique et sociale constante depuis la révolution de 2019

Après la chute du régime en avril 2019, les comités de résistance sont restés constamment actifs, essayant de protéger les acquis de la révolution. Dans le même temps, ils ont essayé de reconstruire ce que le régime précédent avait détruit, désintégrant le tissu social et la vie culturelle dans les quartiers (notamment par la fermeture des cinémas et des centres culturels, et la mise en vente de leurs locaux). Les comités de quartier ont également organisé de nombreux événements politiques pour soutenir les intérêts de la révolution, dans l’objectif de construire un pays pour tout le monde, comme des cérémonies de commémoration des martyrs dans chaque quartier, et la célébration de la Journée internationale des droits des femmes et des handicapés. Par exemple, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2020, les comités de résistance du quartier d’Arkawit à Khartoum ont mis en place clinique ouverte où toutes les femmes pouvaient venir se soigner gratuitement et faire gratuitement des analyses médicales, ainsi que des distributions de serviettes hygiéniques et des ateliers de formation sur le cancer du sein.

Les comités de résistance ont également organisé des conférences sur l’avenir de la démocratie au Soudan, ainsi que des ateliers d’auto-formation politique. Ils ont participé à créer des syndicats de femmes et d'étudiant·e·s, profitant de l'espace de liberté accordé par la révolution.

Au cours des deux dernières années, alors que le pays en transition était frappé par une inflation destructrice, et en proie à des fluctuations démentielles de la valeur de la monnaie (la livre soudanaise), les comités de quartier se sont attelés à lutter à leur échelle contre la petite corruption en constituant des équipes d’« observateurs et observatrices du marché » qui veillent que les commerçant·e·s ne fassent pas monter leurs prix en profitant de la pénurie de certaines ressources et profitant ainsi de la misère des habitant·e·s. Sur les réseaux sociaux, on peut ainsi voir de plusieurs villes des photos de jeunes gens qui campent dans les boulangeries pour vérifier que les boulangers ne monopolisent pas de stocks de farine dans l’espoir de vendre leur pain beaucoup plus cher les jours de pénurie. Dans le village d’Al-Hilalia (Etat de Gezira), en octobre 2019, les comités de résistance ont porté plainte contre un boulanger qui vendait de la farine périmée à tout le quartier.

Khartoum, quartier d’Al-Shuahada, réunion publique en septembre 2019.

Sous le régime d’Omar El-Béchir, les autorités locales étaient regroupées dans les « comités populaires » qui menaient des politiques autoritaires et caractérisée par la corruption, cherchant à détruire toute forme de démocratie locale. Après la révolution, les comités de résistance ont tenté d’empêcher que ce système se reproduise par le simple transfert de pouvoir d’une autorité à une autre : certains ont tenté de détruire des papiers administratifs nécessaire à la prise de fonction des nouvelles autorités pour protester contre cet ancien système et exiger de nouvelles formes de démocratie locale.

Dans certains cas, les comités de résistance sont parvenus à récupérer les biens communs arrachés par le régime précédent, telles que les places publiques qui avaient été vendues à des patrons et investisseurs proches du pouvoir.  

Alors que le régime menait une politique de division sur des bases racistes, les militant·e·s des comités de résistance travaillent au quotidien à créer du lien entre les habitants du quartier pour reconstruire un climat social de paix.

Village de Suriba (Etat de Gezira), juillet 2019, un membre de comité de résistance peint des slogans sur les murs

Le fer de lance des mobilisations actuelles

Ces dernières semaines, pendant les mobilisations de masse qui ont éclaté à la suite du coup d’état du 25 octobre 2021, les comités de résistances sont apparus comme les acteurs principaux dans l’organisation et la coordination des différents cortèges. Ils ont ainsi remplacé l’Association des Professionnels Soudanais qui avait joué le même rôle pendant la mobilisation de 2018. A la suite de la révolution, c’est l’Association des Professionnels qui a joué le rôle de représentant de la société civile dans le gouvernement de transition, formé d’une coalition entre les civils et les militaires. L’expérience très décevante du gouvernement de transition, qui a abouti au coup d’état actuel, a largement participé à décrédibiliser l’Association des Professionnels dans l’opinion publique soudanaise. Or aujourd’hui, si les comités de résistances ont pu prendre la place de l’Association des Professionnels, c’est parce qu’ils ont su obtenir la confiance des révolutionnaires, une confiance que l’Association des Professionnels comme les partis politiques avaient perdu au cours des dernières années.

Ainsi, à peine le coup d’état annoncé, les comités de résistances ont lancé un appel à manifester pour s’y opposer. Ils se sont activés pour mobiliser dans les quartiers et informer les habitants de l’importance de participer la manifestation, distribuer des tracts dans leurs quartiers, dessiner des graffitis recouvrant les murs des slogans et horaires et manifestations. Ils ont également utilisé les haut-parleurs des mosquées pour s’en servir pour diffuser des discours politiques. Les veilles de manifestation, ils construisent pendant la nuit des barricades avec des briques et des objets de récupération afin d’entraver la circulation des forces de l’ordre et de protéger les habitant·e·s du quartier des attaques des militaires et des milices. Cette stratégie ingénieuse a largement prouvé son efficacité dans la protection des manifestant·e·s.

A Khartoum, la semaine dernière, des révolutionnaires construisent une barricade. Au premier plan, le chanteur communiste Abou Araki Albakhit, chantre de la révolution. La barricade est rebaptisée du nom du chanteur

Un avenir pour la démocratie au Soudan ?

En conclusion, bien que les comités de résistance soient composés de citoyen·ne·s qui n'ont pas tous et toutes une expérience dans le monde politique, ils s’organisent avec un grand professionnalisme, essayant de mettre en œuvre la démocratie dans leur manière de prendre les décisions. Ils s’organisent sans avoir recours à des chefs, seulement à des délégué·e·s qui se coordonnent ensuite au niveau de l’arrondissement, puis encore au-dessus, au niveau de la ville.  C'est cette démocratie interne qui leur a permis de rester unis et forts, et non pas divisés comme le sont les partis politiques au Soudan. C'est également ce qui fait espérer à certain·e·s observateur·ice·s que les comités de résistance sont un moyen de briser le monopole des élites traditionnelles des partis politiques dans le champ de la politique au Soudan.

Les Soudanais·e·s voient aujourd’hui que les comités de résistances peuvent être une alternative aux partis politiques qui ont échoué à créer un climat commun d’action collective pour trouver des solutions aux problèmes du Soudan. Or, les comités de résistances, grâce à leur structure autogérée, se basent sur l’action locale menée par les habitant·e·s des quartiers ou des villages, à laquelle tout le monde participe quel que soit son niveau d’expérience politique : leur méthode initie donc une réelle démocratie participative au Soudan dans laquelle tout le monde a le droit de décider.

Khartoum, la semaine dernière. Les comités de résistance surveillent la « barricade des Kandakas ».

Sarah Bachellerie

Militante française contre le racisme et pour les droits des personnes étrangères, et jeune chercheuse sur les frontières en Europe. Elle a étudié l'arabe en Égypte où elle a également mené des recherches sur les politiques migratoires égyptiennes.

Hamad Gamal

Militant soudanais en exil, étudiant en sociologie à l’Université Lyon 2 et à Sciences Po Paris. Il est le co-fondateur de Sudfa, et auteur de nombreux articles et lettres ouvertes en défense des droits des migrant.e.s et réfugié.e.s en Europe.

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