A peine étais-je descendu à la station La Chapelle, sur la ligne 2 du métro parisien, que j'ai entendu : "Malboro Labelad .. Malboro Labelad". De jeunes vendeurs m’appelaient du nom des cigarettes de contrebande en provenance des pays du Maghreb, qu’ils vendaient dans la rue à prix réduit et détaxé. C’est le travail de nombreux jeunes hommes que l’on croise aussi dans la station de métro, en traversant la grande route en direction de "Porte de la Chapelle". J’ai continué jusqu’à rencontrer des dizaines de restaurants afghans : mes oreilles furent alors saturées des langues Pashto et Dari, mais également de tigrigna, amhringa, de tigréen et de somali. Ces langues principalement venues d’Afrique de l’Est prenaient place dans la symphonie linguistique cosmopolite de La Chapelle.
Puis, tout à coup, je les ai trouvés à l’angle, côté est, sur ma route vers la porte de la Chapelle. Ils étaient tant de locuteurs de dialectes soudanais et tchadiens que j’ai cru me retrouver dans les rues au milieu du marché arabe, le grand marché de Khartoum, où des dizaines de Soudanais travaillent dans des boutiques et vendent des produits du pays : parfums, jus, spécialités culinaires subsahariennes…
Nourritures, parfums, vêtements et souvenirs m’assaillaient, si bien que j’avais l’impression que ces immigrants les avaient emportés et ramenés avec eux du Soudan en traversant la Méditerranée.
Ils les ont tenus fermement face aux vagues déferlantes et aux brises froides des montagnes. Ils ont traversé toutes ces routes accidentées et dangereuses, mais ils n’ont pas abandonné ces denrées. Et maintenant qu’ils sont installés à Paris, en les achetant, ils cherchent à retrouver n'importe quel fil qui les relie aux souvenirs de leur jeunesse ou de leur enfance, volées par la guerre civile, la dictature et les difficultés économiques.
Ils ont quitté le Soudan à cause des conflits armés et de la pauvreté, mais personne ne peut leur ôter la nostalgie effusive d’autrefois. Ils se souviennent de leurs jeunes années, avant que les tambours de guerre ne frappent et brûlent les villages et que le bruit des avions Antonov n’assourdisse tous les chants de paix et d'amour. Ils achètent ces produits avec un grand bonheur, comme des enfants recevant des cadeaux de Noël ou de l'Aïd al-Adha. Cela se lit dans leurs sourires, qui n’ont pas été tués par la bureaucratie, l’angoisse des papiers et leur quotidien assombri par le capitalisme.
J’ai été témoin de toutes ces scènes en traversant la rue, et je me suis souvenu du couplet d’une chanson :
«Y'a un sac de plastique vert
Au bout de mon bras
Dans mon sac vert il y a de l'air
C'est déjà ça
Quand je danse en marchant
Dans ces djellabas
Ça fait sourire les passants
C'est déjà ça »
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Par Khaled Siraj
Pour écouter la chanson d'Alain Souchon en entier : https://www.youtube.com/watch?v=ViFsEEKweSc