Le 17 août 2020, un jeune poète soudanais, Abdelwahab Youssef, dit « Abdelwahab Latinos », mourait en mer Méditerranée, en tentant de joindre l’Europe, laissant derrière lui une cinquantaine de poèmes magnifiques, publiés sur ses réseaux sociaux et son blog, portant sur la guerre, l’exil et la solitude. Ce jour-là en mer Méditerranée, 45 personnes perdent la vie, dont de nombreux-ses Soudanais-e-s, après que des garde-côtes libyens, financés par l’Union Européenne, les menacent et tirent sur le moteur, ce qui met feu au bateau pneumatique. La quasi-totalité des passagers meurent tragiquement par brûlure ou noyade. Un drame de plus dans cette mer devenu le cimetière de la honte, cimetière colonial, cimetière des illusions. En moins de 10 ans, environ 28000 personnes y ont perdu la vie.
Abdelwahab Youssef, lui, venait du Sud-Darfour, avait fait des études à l’Université de Khartoum, et était connu des amoureux de littérature du pays. Ses textes, presque tous datés de l’année 2020, reflètent l’amertume et la désillusion de l’après-révolution. Ses textes sont amers, mélancoliques, et souvent prémonitoires, comme le poème « Mourir dans les profondeurs de la mer », écrit en mai 2020, soit trois mois avant sa mort, où il écrit « Tu mourras dans les profondeurs de la mer / Les vagues fracassant ta tête / Et l’eau balançant ton corps / Comme un bateau crevé ».
Notre équipe a publié la traduction de plusieurs de ses poèmes peu après sa mort en septembre 2020, et travaille actuellement à la traduction de ses autres poèmes, dont voici de nouveaux extraits.
A propos de la guerre (« 3an el-harb muqam than »)
La guerre, autorité des brutes
Les brutes qui restent tapis dans les couloirs de notre pensée enfouie
Celle que l’on nomme l’inconscient
Où le nom correspond à l'acte
La guerre, anéantissement des humains
Funérailles des valeurs
La guerre, punition des dieux
Pour les actes naïfs et irréfléchis des hommes
De là naissent des espèces mutantes
Qui ignorent ce qu’est d’être humain
[Car] dans la guerre ce sont les canons des chars d’assaut qui parlent
Avec le langage d’humains rapetissés
Quelle absurdité cette Création
Depuis [ses] débuts métaphysiques
En temps de paix nous portons des masques
Pour paraitre bons
Et soudain dans la guerre nous retirons ces masques
Nous lâchons les rênes du mal
Ces rênes anciennes qui sommeillaient auparavant
Et c’est alors le mal qui règne sur le champ de bataille
Dans la guerre nous révélons notre profonde vérité
Celle qu’auparavant nous rejetions
La guerre nous déshabille
Et nous voilà qui paradons dans des uniformes militaires !
[…]
Une fois la guerre terminée, nous nous retrouvons comme des idiots
Vêtus de haillons salis de terre
Nos gorges remplies de la poussière des batailles
Nos pores obstruées par la poudre des canons de chars d’assaut
Nos cœurs chargés par les brisures des défaites
Dans la guerre nous lâchons les rênes de la tuerie
Une fois la guerre terminée, nous nous retrouvons à pleurer nos camarades
Nous revenons sans rien…
Et tout…
Nous gardons dans nos mains des bouts de papiers
Imbibés de sang
Que nous avons trouvés dans les poches de nos camarades
C’est écrit sur un de ces papiers :
« A ma femme et à mes enfants,
Qui ne me verront plus
Je vous aime de tout mon cœur »
Et sur un autre papier :
« Vous les plus petits parmi nos enfants
Renoncez aux guerres obscènes
Ouvrez les voiles de la paix
Car la guerre blasphème la vie
La guerre : elle sabote la pensée des vivants
Elle enterre l’humanité, notre essence
Et emprunte une pensée artificielle, fabriquée par le mal
لحرب ؛ هي سطوةُ المتوحش
القابعُ في دهاليزِ الذاكرةِ السفليِّ
المدعاة باللاواع ..
إذ الإسم يطابق الفعل !!
الحرب ؛ هي عدميةُ الإنسان
حين شيعت القيم ..
الحرب ؛ هي إبتزازُ الآلهة
على سذاجةِ فعلٍ أرعن ..
نتجت عنها مسوخُ بشرٍ
يجهلون معنى الإنسان ..
في الحرب تتكلم المدافع
بلسانِ إنسانٍ قزم
قدّ من عبثيةِ التكوين
مذ إجتراج الميتافيزيقا ..
في السلم نلبس أقنعة
لنبدو أناسٌ طيبين ..
وفي الحرب نزيحُ الأقنعة
ونطلق عنان الشر المحنطُ قبلاً
ليحتل المشهدُ الجنائزي ..
في الحرب نظهر على حقيقتنا ..
على حقيقةٍ كنّا نرفُضها ..
الحرب يعرينا
ونحن نرفلُ في البِزّاتِ العسكرية
بُعيد الحرب نعود كالحمقى :
ملابس رثة معفرة بالتراب
حناجرٌ محشوة بغبار المعركة
مساماتٌ مسدودةٌ بالبارود
وقلوبنا ملأى بإنكساراتِ الهزائم..
في الحرب نطلق عنان القتل
وبُعيد الحرب نبكي رفاقنا ..
نعود بلا شيء
وكل شيء ..
نحمل قصاصاتُ ورقٍ
مصبوغةً بالدماء ..
وجدناها في جيوب رفاقنا ..
كتبت على إحداها :
إلى زوجتي وأطفالي
الذين لن ترونني مرةً ثانية
أحبكم ملء قلبي ..
وكتبت على أخرى :
أيها الصغار من أبنائنا
أنبذوا الحروب الداعرة
وأفتحوا أشرعة السلام
فالحربُ كفرٌ بالحياة ..
الحرب ؛ هي تعطيل الذاكرة الحية ..
هي وأدُ الإنسان كقيمة أسمى
وإستلاف ذاكرةُ شر مصطنعة
Voyage d’un récit d’exilé (« Safar min sirat el-manfi »)
Nous voici, les insultés, ceux pris au piège,
Nous, la diaspora,
Le sel de la terre morose (NdT : ici le « sel » vient d’une expression populaire, dans laquelle les personnes issues des quartiers pauvres ou modestes de Khartoum se considèrent comme le « sel », à savoir ce qui vient à la fois « du bas », « de la terre », et est essentiel)
Talisman de l’exil !
Nous qui nourrissons la tragédie
De notre douleur
Qui ne cesse de saigner
Nous voici, les princes de la misère
Le sel de l’exil
De petits cailloux [éparpillés] sur la terre des pays lointains
Nous qui tétons le sein de la tristesse
Nous tirons dessus comme sur une vieille pipe rouillée
Dans une des petites rues du marché Al-Arabi (NdT : nom d’un marché à Khartoum)
Nous voici, pris au piège du cocon de l’absence amère
Remplis d’un chagrin versé jusqu'à l'ivresse !
Pris au piège des cages de frontières inébranlables
Piétinés sous les pieds du temps,
Comme des graviers sous les sabots des chevaux
[…]
ها نحن الملاعين ، العالقون في الديسابورا diaspora ملح الأرض الكالحة ، تميمة المنافي! نحن الذين يقتات المأساة مِن أوجاعنا ، التي لا تكف النزف! ها نحن قياصرة البؤس ، ملح المنافي ، حصى الأرض في البلادِ البعيدة! نحن الذين نرضع مِن ثدي الحزن ، نمتصه كغليونٍ صدئٍ ، في إحدى زقاقاتِ العربي!
*** *** *** ها نحنُ العالقون في شرنقةِ الغياب المُر ، المترعون بالأسى حدّ الثمالة! عالقون بين أقفاص الجغرافيا الصلبة! المداسون بأقدامِ الوقت ، كحصى تحت حوافر الخيل في ساحاتِ الوغى
(....)
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Pour retrouver les poèmes en entier et en version originale :
https://www.aldiwan.net/poem101002.html#google_vignette
https://www.aldiwan.net/poem101016.html