A propos de l'auteure et du projet
« Je m'appelle Adaw, je suis soudanaise, née à Khartoum et d'origine sud-soudanaise.
Quand j'étais petite, j'ai décidé que je ne marierai jamais, pas comme les autres. J'ai refusé de me faire embarquer sur un navire dont je ne connais pas la destination, qui est le navire du mariage arrangé, et tout ce qui va avec. C'est surtout que quand j'étais petite, j'ai contracté une maladie et je suis restée prisonnière à la maison, j'étais clouée au lit sans pouvoir aller à l'école, et là, j'ai entendu toutes ces horreurs familiales, de la bouche des femmes de la famille, des soeurs, des mères, des tantes, ou des belles-mères, y compris dans les quartiers et communautés de ma tribu, les Dinka. Cette maladie m'a ouvert les yeux là-dessus, sur le calvaire que c'était, et j'ai décidé qu'il ne fallait pas que je m'embarque sur ce navire-là.
Petit à petit, avec l'âge et la migration d'un pays à un autre, j'ai compris que j'étais une victime de quelque chose de plus large qui se passait dans le monde : la guerre, le monde des finances, l'argent, l'instabilité, l'insécurité, et c'est là que j'ai compris que ce monde n'est pas fait pour les femmes et n'est pas équitable du tout, malgré le fait qu'on dit qu'il est « moderne ».
Je suis remplie de témoignages, des témoignages des femmes, que j'ai avalés depuis mon enfance. Je suis quelqu'un qui donne beaucoup mon oreille aux personnes lorsqu'elles ont besoin de se vider. C'est de là que vient ce texte.
Pour ce texte, tout est parti d'une image réalisée par mon amie Malvina [ci-dessous], et l'idée est de parler des problèmes qu'affrontent les femmes soudanaises et sud-soudanaises, tout ce qui se passe dans le pays et la culture qui participe à l'humiliation des femmes. Mais ce texte parle aussi de ce que ces femmes continuent à vivre, ailleurs. Ce texte s'adresse à toutes les femmes. Pour que nous organisions notre révolte ensemble. Cela fait plusieurs années que j'avais l'idée d'écrire quelque chose, et cela commence maintenant à prendre forme... Ce n'est que le début ! »

Illustration de la dessinatrice Malvina Barra, "Woman... Nothing Else" (Femme... Rien d'autre).
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« Sur sa robe il y a des armes et des dollars
Sur sa robe il y a la douleur
Son visage est triste et immobile
Ce qui est au fond de moi c’est la haine mélangée à la peur
Ils diront que c’est par religion
Ils diront que c’est par coutume
Ils ne diront pas que c’est le sexe
Le sexe acheté par les billets et par les balles
Le sexe est une arme
Les femmes en ont payé le prix
On est baisées enceintes et ensuite vient l’enfant et on nous achète notre silence
On nous achète notre silence sur le grand marché aux esclaves
Il y en a qui se disent les briseurs du tabou
Ils parlent de l’argent, des balles, de la peur
Mais ils ne parlent pas du sexe
Brisez le dernier tabou
Le plus lourd le plus meurtrier
Sortez des dix commandements et mettez le problème du sexe en tête
Sortez de la peur qui est fabriquée par les politiciens et les hommes de Dieu
Je ne parle pas d’un pays, je parle d’un monde
Dans d’autres pays on les paie pour les enfants ou les papiers
Leur silence est acheté par les billets, leur obéissance et leur docilité
Au Soudan et en France le résultat est le même
Les femmes couvertes de la robe de la gloire des autres
La robe du silence
La robe qui recouvre et qui dit : tu es à moi
J’en veux aux dix hommes
Aux chefs de tribu
Aux hommes de Dieu
Qui sont les prêtres
Les imams
Les chamans
Les rabats
Les hommes de Bouddha
Aux hommes de la finance
Aux beaux-parleurs
Aux politiciens
[...]
Son visage est triste
L’homme dit, j’ai une chatte, c’est sa chatte
J’ai une personne pour laver et faire à manger, et quelqu’un pour me faire des enfants
Il a accompli quelque chose de grand, de très grand
Il ordonne le monde par le viol
Le viol qui est le mariage arrangé
Le viol qui est le mariage forcé
Le viol qui est la fête du jour des premières règles
Le viol qui est la promesse de l’argent
Le viol qui est la pression sociale
Le viol qui est la peur
Tout ce qui est le viol
Même plus tard elle verra que c’est un viol
Tout est arraché
On ne peut plus faire semblant et je dois en parler
Et si je parle parfois je crache
Ils diront que je suis une sorcière
Mais je ne peux pas en parler doucement parce que le viol n’est pas une caresse
Je ne peux pas en parler doucement parce que le viol n’est pas une caresse
Je ne peux pas rester calme parce qu’on nous a couvert la bouche de coups de poing
Un enfant de quatre ans sait ce qu’il y a en bas de sa ceinture
Mais en grandissant s’il ne sait pas ce qu’il peut faire avec
Si l’on n’en parle pas
Si on fait comme si c’était naturel et normal
On explosera comme on explose les vagins des femmes
L’homme qui la regarde voit le bas de la ceinture
Ne voit que le bas de la ceinture
Cette femme-là est endettée de la dette du monde
Elle porte le poids du monde
Tu sais
L’émeute des femmes est une émeute malade
Une émeute que le brave général et les politiciens qui grimpent partout ne peuvent pas arrêter
Elles sont malades
Je suis avec toutes les femmes malades et je suis aussi l’une d’entre elles
Je mourrai d’overdose de parole s’il le faut
Ma parole est un vomissement de colère ».

Photographie de l'auteure, Adaw.
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A propos de la fabrication du texte
Ceci est un petit extrait d'un texte beaucoup plus long, toujours en cours d'écriture. Ce texte est né d'un travail de plusieurs semaines, avec Adaw, et deux amies, Léa et Juliette, qui ont aidé pour la mise à l'écrit et des suggestions de style. Une partie du texte est né pendant des séances d'écriture et de discussions chez Adaw, une autre partie est issue de messages vocaux envoyés par Adaw et retranscrits à l'écrit.
Ce texte, unique en son genre, cherche à être publié, et cherche une maison d'édition. Si vous avez des pistes, des contacts, ou souhaitez soutenir ce projet, écrivez à sudfamedia@gmail.com avec pour objet "Pour Adaw". Si le texte vous a plu et que vous souhaitez que l'on publie d'autres extraits dans les prochaines semaines, n'hésitez pas à laisser un commentaire ou nous écrire un mail. En attendant, n'hésitez pas à le partager autour de vous!