Soudan : la solidarité, une lueur d'espoir en temps de guerre

22/05/2023 - par Equipe - Politique

Depuis plus d’un mois le Soudan est déchiré par la guerre entre l’armée soudanaise et la milice des Forces de Soutien Rapide (RSF). Au milieu des conflits armés et de la crise humanitaire, une très forte solidarité entre les citoyen-ne-s a vu le jour. Elle montre que face à la violence des armes, la société civile soudanaise oppose la paix et continue d’œuvrer au changement social pour le pays.

Depuis plus d’un mois le Soudan est déchiré par la guerre entre l’armée soudanaise et la milice des Forces de Soutien Rapide (RSF), causant des souffrances immenses à sa population. Selon le Syndicat des Médecins Soudanais, cette terrible guerre a déjà provoqué la mort d’au moins 850 personnes, et a fait plus de 3400 blessé-e-s.

Cependant, au milieu des attaques et destructions qui dévastent le pays, des réseaux de solidarité se sont formés, offrant une aide pratique et émotionnelle aux personnes touchées par la guerre. Les voisin-e-s se soutiennent mutuellement en partageant des ressources limitées, en s'abritant les uns les autres et en créant des espaces de sécurité.

Cette solidarité a permis de sauver des vies et d'atténuer les effets dévastateurs du conflit sur la population civile. Elle est une force collective face à l’adversité, et apporte de l'espoir et de la résilience à la société. Elle montre que la population soudanaise, qui réclame la paix et le changement social, travaille déjà à le mettre en œuvre au quotidien malgré les risques mortels auxquels la population est exposée.

Sous le feu, des initiatives de solidarité locales

Selon le syndicat des médecins soudanais, plus des deux-tiers des hôpitaux proches des zones de conflit sont hors service, car ils sont ciblés par les frappes aériennes, et souffrent d’un manque crucial en électricité, en eau, en médicaments, et en médecins. Or, à travers tout le pays, des initiatives locales ont vu le jour pour répondre aux besoins urgents de la population. Des groupes de bénévoles se sont mobilisés pour fournir des soins médicaux, de la nourriture et de l'eau aux personnes déplacées et aux communautés isolées.

Malgré la situation sécuritaire, les comités de quartier (dits aussi : comités de résistance), collectifs qui étaient les plus mobilisés pendant la révolution, continuent à se battre pour aider les familles en difficulté et répondre aux besoins de premières nécessités dans leurs quartiers, ainsi que réparer les services publics. On a vu ainsi circuler des photos des comités de quartier organisant des journées de solidarité pour nettoyer et réparer les murs cassés des hôpitaux à Al-Fasher, ou encore reconstruisant les réseaux d’électricité, ou allant balayer les décombre après les incendies. Ils aident également les familles à l'inhumation des cadavres, et en fournissent de la nourriture aux familles les plus pauvres.

Dans chaque quartier, ces comités veillent à assurent la sécurité de leurs voisin-e-s, en occupant les maisons et bâtiments publics abandonnés pour éviter que les RSF ne s'y installent et avancent ainsi leur ligne de front. Ils ont également aidé les habitant-e-s à construire des barricades de sable pour empêcher les RSF d’entrer dans leurs quartiers.

Enfin, dans certaines villes moins exposées au feu des combats, comme à Port-Soudan, Wad Madani et Kassala, des comités de résistance ont organisé des rassemblements pour protester contre la guerre.

Ces petits actes, en opposant la solidarité pacifique à la violence des armes, illustrent un courage immense et une grande détermination de la jeunesse soudanaise. Ils montrent que la force révolutionnaire est encore présente dans le pays, que ce soit sous la forme d’actions concrètes ou dans les discours sur les réseaux sociaux, où chacun affirme que : "La révolution continue !".

A l'abri des zones de conflit, l’accueil des déplacé-e-s et réfugié-e-s

Des dizaines de milliers de personnes ont fui la capitale Khartoum vers des régions relativement éloignées des combats, notamment la région de Gezira et les régions de l’Est. Les habitant-e-s de ces régions ont abrité des milliers de personnes dans des zones sûres. Pourtant, ils et elles vivent eux-mêmes dans des conditions très difficiles, à cause de la crise économique dans le pays.

Hassan, qui est arrivé dans la ville de Wad Madani, a déclaré à Sudfa Média que, dans la maison de famille de son ami où ils sont nombreux à s’être réfugiés, ils reçoivent une « merveilleuse hospitalité ». Un autre déplacé affirme qu'il n'est : « même pas étonné par cette solidarité, parce que cette culture d’accueil existe chez nous depuis toujours, mais maintenant elle est encore plus forte qu’avant ».

Ashraf a décidé de quitter la capitale soudanaise avec sa famille à cause de l’augmentation des pillages et des vols et la prise d'assaut des quartiers résidentiels par les soldats des RSF. Il a pris la route pour l'état de Gezira. Il a raconté à Sudfa Media que lui et sa famille avaient été transportés gratuitement par un chauffeur de camions, car ils n’avaient pas d’argent. « Lorsque nous sommes arrivés dans un petit village à la périphérie de l'État de Gezira, les habitants locaux nous ont interpellé, ont insisté pour nous proposer de la nourriture, de l'eau et des jus. Tout au long de la journée, les habitants des petites villes situées au bord de la route principale étaient dans la rue, distribuant de l'eau et de la nourriture, en souriant... Ils nous font oublier notre douleur. »

A Wadi Halfa, à la frontière avec l’Egypte, des milliers de réfugié-e-s sont bloqué-e-s à la frontière en attendant de faire des démarches de visa pour l'Egypte. Ahmed, un bénévole de la ville de Wadi Halfa, a déclaré à Sudfa Media qu'un groupe d'habitant-e-s a ouvert des centres d'accueil dans les écoles, les maisons et les hôtels, qui sont aujourd’hui remplis. « Nous avons collecté des dons et de la nourriture auprès des citoyens de la ville, et maintenant la plupart de ceux qui résidaient dans ces centres sont partis pour l'Égypte. Mais il y a aussi des centaines de personnes bloquées qui sont récemment arrivées de la capitale au point de passage, et nous travaillons pour les accueillir. », a-t-il ajouté.  

Partout dans le monde, la diaspora mobilisée

Après le choc des premiers jours, la diaspora soudanaise à l’étranger s’est à son tour mobilisée. Dans les pays voisins (Libye, Tchad, Egypte, Sud-Soudan), les Soudanais-e-s ont organisé l’accueil des réfugié-e-s à la frontière et dans les différentes villes où ils et elles se sont installées. Les Soudanais-e-s d’Egypte ont créé un « livret d’accueil » circulant sur les réseaux sociaux avec toutes les informations sur la demande d’asile auprès de l’UNHCR et la vie en Egypte. Des groupes LGBTQ+ égyptiens ont également affrété un bus depuis Khartoum permettant d’évacuer des personnes LGBTQ+ du Soudan. 

Profitant d’une meilleure connexion internet, les Soudanais-e-s de l'étranger font quotidiennement circuler sur les réseaux sociaux les informations des zones où les combats éclatent pour faire connaître l’évolution des différents fronts. Ils et elles informent également les personnes sur place des hôpitaux ou cabinets médicaux encore ouverts.

Depuis l’étranger, la diaspora soudanaise a organisé des collectes de dons, comme à Gent en Belgique, ainsi que de multiples cagnottes de soutien. Elle s'est mobilisée pour faire connaître au monde son refus de la guerre, en organisant des rassemblements réguliers partout dans le monde : aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en France, en Australie, en Corée, au Royaume-Uni… Les membres de la diaspora ont aussi organisé de nombreux événements d’information, de sensibilisation dans différentes villes, comme à Paris et à Marseille.

Lors d’événements publics ou sur les réseaux sociaux, ces militant-e-s de la diaspora font part de leurs émotions : le désespoir face à la destruction de leur pays, l’angoisse permanente concernant le sort de leurs proches, la douloureuse impuissance face à l’impossibilité d’imposer une réponse civile face à la brutalité des armes… Mais ils et elles manifestent également leur volonté de persévérer dans le travail de construction d’un Etat de paix, de liberté, de justice et de démocratie.

C’est cette même unité et cette solidarité qui ont joué un rôle déterminant dans les changements politiques majeurs que le Soudan a connus récemment. Sur les réseaux sociaux, on peut voir que le slogan issu de la période révolutionnaire : « Hanabniho ! » (« Nous reconstruirons le pays ! ») est encore clamé par les militant-e-s qui agissent sur le terrain, comme un chant d’espoir.

Equipe

Article réalisé collectivement par les membres de Sudfa Media.

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