Résumé du film
Alors qu’éclate la révolution soudanaise de 2019, Hamad, réfugié soudanais en France, se mobilise depuis son exil à Lyon pour soutenir la révolution. Il cherche à raconter l’histoire politique du Soudan à travers le cas des mouvements étudiants, et part à la rencontre de soudanais·e·s exilé·e·s en France de différentes générations, de différentes régions du Soudan pour qu’ils et elles témoignent de leur parcours d’engagement dans les universités soudanaises en opposition à la dictature.
Au cours du tournage du film, Hamad, Essam, Rashida, Mussab, Ismaïl et Khansa voient leur pays se soulever pour la liberté et la démocratie, puis s’effondrer à nouveau lors du coup d’Etat militaire d’octobre 2021. Traversé·e·s par les sentiments d’espoir, puis de peur, de colère, d’inquiétude et d’impuissance, ils et elles tentent de se remobiliser depuis la France, essayant de faire vivre la révolution depuis l’exil. Puis la guerre civile éclate, et tous les espoirs de construire un pays démocratique semblent s’effondrer. Il ne reste alors, de la révolution, que les liens de camaraderie, et la volonté de garder vivante la mémoire de ces luttes, pour les sauver de la destruction.
Malgré les difficultés et les doutes, les personnages continuent de se réunir et de débattre, pour imaginer un avenir meilleur pour leur pays. Lors de ces moments collectifs renaît la joie d’être ensemble, et depuis l’étranger, résonnent à nouveau, les slogans de luttes et chants d’espoir.
Note d'intention
A travers le récit des histoires individuelles de six personnages, et en suivant ces personnes dans leurs mobilisations à travers la France, nous découvrons le passé et le présent révolutionnaire du Soudan. En rupture avec les images médiatiques qui ont documenté les événements des dernières années au Soudan sous un angle sensationnaliste (la révolution, puis la guerre), notre film suit les personnages au cours de trois années de luttes marquées par des tensions et de l’espoir, mettant en avant la continuité de l’engagement des militant·e·s soudanais·e·s. Les histoires des personnes qui ont vécu ces événements de l’intérieur, montrent que les révolutions n’émergent pas de nulle part après des décennies de silence, mais bien grâce à l’enracinement sur le temps long de formes quotidiennes, collectives et discrètes, de résistances à la dictature. Les personnages du film endossent ainsi un rôle de « passeurs » de la mémoire des luttes du Soudan, à l’image du rôle de la diaspora soudanaise exilée en France.
Centrer le regard de notre film sur des réfugié·e·s soudanais·e·s n’est pas anodin. En France, la trajectoire des réfugié·e·s est marqué·e·s par le parcours de la demande d’asile politique, où leur parole est sollicitée dans un cadre institutionnel marqué par la suspicion, qui les contraint à se présenter dans un rôle de victime. La majorité des représentations médiatiques de la migration africaine aujourd’hui en France insiste sur la précarité des conditions de vie et les différentes formes de violences qui s’exercent contre ces personnes, présentant également les personnes réfugiées comme des éternelles victimes. Nous souhaitons nous inscrire à contre-courant de ces représentations. Les personnages de notre film, loin d’avoir subi passivement les effets de la dictature ou de la guerre dans leur pays d’origine, étaient acteurs et actrices de l’opposition en dépit de la répression. Une fois en France, ils et elles ne subissent pas de manière passive les effets dépolitisant des politiques migratoires, mais se mobilisent pour le changement dans leur pays depuis l’exil, en dépit des difficultés de la vie quotidienne.
Genèse du film
Ce film se situe dans la continuité de notre engagement commun pour soutenir la révolution soudanaise depuis la France depuis 2019. Hamad, co-réalisateur du film, était alors étudiant à Lyon. Ancien membre des syndicats étudiants à l’université du Soudan, il avait temporairement arrêté de militer pour se concentrer sur sa procédure d'asile en France. La révolution de décembre 2018 a été pour lui comme « le réveil d’un long sommeil » et l’a poussé à chercher autour de lui d’autres membres de la diaspora pour organiser des manifestations de soutien à la révolution. C’est en se mobilisant qu’il a fait la rencontre des personnages du film, ainsi que de plusieurs Français·e·s de Lyon solidaires avec le Soudan. Parmi elles et eux se trouvait Sarah, co-réalisatrice du film. Engagée depuis plusieurs années auprès des personnes en exil, elle a découvert la lutte du peuple soudanais grâce aux mobilisations de la diaspora en 2018.
Au cours de notre expérience commune d’engagement dans le collectif "Sudfa Media" est née l’idée de faire un film documentaire sur l’histoire des mouvements étudiants au Soudan. Depuis le coup d’Etat qui l’avait porté au pouvoir 1989, le président dictateur Omar El Béshir a verrouillé la production culturelle soudanaise et coupé les relations diplomatiques avec le monde occidental. Pendant la dictature, alors que le reste de la société subissait la censure et un contrôle social et moral, et malgré la répression extrêmement violente des services de sécurité, les universités soudanaises étaient paradoxalement restées des lieux de débat politique et de contestation. Après son indépendance en 1956, le Soudan a connu une série de coup d’Etats militaires ; par trois fois (en 1964, 1985 et 2019), des révolutions populaires sont parvenues à faire chuter les régimes militaires pour exiger la démocratie et un gouvernement civil. Les étudiant·e·s de toutes les régions du pays ont joué un rôle crucial dans chacune de ces révolutions : en dépit des dictatures, les universités sont toujours restées des foyers de démocratie et des lieux d’organisation des mouvements d’opposition. Pendant la dictature d’Omar El Béshir (1989-2019), le régime a cherché à effacer pendant trente ans toute trace des mobilisations sociales, politiques et culturelles. Pour l’instant, à l’exception de la mémoire des militant·e·s soudanais·e·s elle-eux-mêmes, il existe peu de traces d’un siècle entier de luttes du peuple soudanais pour l’indépendance, la liberté et la justice.
Hamad a alors eu l’idée de partir à la rencontre de militant·e·s soudanais·e·s en exil en France pour raconter l’histoire de ces luttes étudiantes à partir d’entretiens sur leur parcours individuel de lutte. Toutes ces personnes sont des camarades, rencontré·e·s au cours de différentes mobilisations.
Alors que le tournage du film commençait, le coup d’Etat militaire du 25 octobre 2021 a mis fin à la transition démocratique soudanaise. La diaspora soudanaise en France s’est remobilisée pour défendre les acquis de la révolution. Avec notre caméra, nous avons alors commencé à filmer ces mobilisations, qui montraient la continuité de l’engagement des personnages du film, continuant à agir depuis la France pour le changement démocratique dans leur pays d’origine. Le tournage a dès lors été rythmé par les différents événements organisés par les Soudanais·e·s de France à Paris et à Lyon.
Mais, en avril 2023, la guerre a mis une fin brutale aux espoirs des personnes que nous filmions. Les mobilisations des Soudanais·e·s en France ont continué, mais sous une nouvelle forme : cette fois, ce n’est plus la chute du gouvernement militaire que la société civile soudanaise réclame, mais simplement la paix et la fin des combats. Après avoir connu le rêve de changement, et la colère, Hamad et les autres personnages du film ont été traversé·e·s par la peur, le découragement, et le désespoir. La guerre est venue ré-interroger douloureusement les possibilités d’action de la diaspora, les attentes individuelles des militant·e·s en exil, ainsi que nos questionnements de documentaristes. Que faire pour continuer d’aider son pays, quand celui-ci s’effondre ? Comment continuer d’avoir espoir dans le changement collectif, quand la guerre crée une fracture dans la société qui semble irréparable ? Hamad revient alors échanger avec les différents personnages du film, autour de ces nouvelles questions qui émergent et qui semblent sans réponse. Le dialogue qui se crée alors entre ces camarades de lutte en exil évoque aussi bien le désastre que la guerre dans le pays d’origine crée chez la diaspora à l’étranger, que la volonté des personnages de continuer à faire vivre, tant bien que mal, les espoirs de paix et de société démocratique.
A travers ce film, nous avons vu pendant trois ans la manière dont l’évolution de la situation au Soudan impacte radicalement la vie des Soudanais·e·s en France, venant constamment réinterroger leur rôle dans le mouvement démocratique, la possibilité d’aider leurs proches, et même leurs conditions de vie en France.
Finalement, notre film vient saisir ce que signifie se mobiliser dans le temps long et depuis l’exil pour le changement dans son pays d’origine. En conduisant les spectateur·ices dans les espaces intimes des militant·e·s de la diaspora soudanaise, nous donnons à voir des formes et lieux méconnus de l’engagement militant en France, ceux qui existent par la migration et l’exil. En explorant les continuités et les rupture dans l’engagement individuel de chaque personnage avant et après son parcours de migration, nous proposons un regard original sur la révolution soudanaise, interrogeant les différentes temporalités de l’engagement et saisissant la révolution comme un processus qui se poursuit toujours, malgré les échecs.
